lundi 27 février 2012

Le camouflage, une peinture cubiste ?

Gertrude Stein rapporte que, devant le premier canon camouflé qu’il vit, Picasso s’écria : « C’est nous qui avons fait cela. » Comment Picasso a-t-il pu attribuer la paternité d’une peinture utilitaire au cubisme ? Par quelle opération mystérieuse le cubisme se retrouva-t-il sur du matériel militaire ?

Guirand de Scevola donna lui-même les premiers éléments d’explication : « J’avais, pour déformer totalement l’objet, employé les moyens que les cubistes utilisent pour le représenter, ce qui me permit par la suite d’engager dans ma section quelques peintres aptes à dénaturer n’importe quelle forme. » Les cubistes et le camouflage poursuivaient un but similaire : intégrer la figure au fond, l’objet à son environnement.

Pour les cubistes, le problème était de figurer des objets colorés en trois dimensions sur la surface plane du tableau et de les incorporer à cette unité plastique. Pour ce faire, ils représentaient les objets vus sous divers angles, que les « passages », les dégradés colorés, permettaient de relier entre eux et à l’arrière-plan. La restriction des couleurs à un camaïeu de brun et de gris accentuait cette fusion. En reniant la perspective à point de vue unique, la lumière ne provenait plus d’une source isolée, mais servait à faire ressortir les volumes indépendamment de tout éclairage naturel.

De la sorte, leurs peintures, comme Les Usines du Rio-Tinto à l’Estaque, faisaient éclater le volume homogène des objets, brisaient leurs contours et rendaient leur position dans l’espace par une succession de plans : les bâtiments sont figurés les uns au-dessus des autres selon des angles variés, et leur forme n’est jamais complètement délimitée, un côté se fondant avec le fond. Le tableau, pour qui n’est pas familiarisé avec cette déconstruction visuelle, peut apparaître comme une surface couverte d’aplats colorés légèrement modulés, s’apparenter à de l’abstraction. Une « illisibilité » qui rejoint l’invisibilité recherchée par le camouflage.

Le matériel militaire était peint d’aplats de couleur unie indépendants des formes et de l’éclairage de manière à abolir le volume de l’objet, à rendre ses contours indéchiffrables et à l’amalgamer à son environnement. Les camaïeux de brun, de gris et de vert, couleurs les plus communes dans la nature et les moins visibles, servaient au mieux cette recherche de fusion.



Auteur : Claire Le Thomas.

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